• L'autorité bénite

     

    J’ai toujours eu un rapport conflictuel avec l’autorité. Non pas que je sois rebelle dans l’âme ni révolutionnaire, mais je n’aime pas faire les choses sans comprendre, ce qui m’amène automatiquement à poser le pourquoi du comment, qui invariablement déchaîne l'agacement, voire la colère des  potentats à qui je me frotte.
    Le résultat d’une telle attitude était en général une bonne fessée quand j’étais enfant, des heures de colle une fois adolescente, des discussions houleuses avec les uniformes dans mes revendications suivis parfois d’un rapport de force mon épaule contre sa matraque, ce qui fait très mal très longtemps, un sentiment d’injustice accompagné d’une forme d’impuissance avec des employeurs et pour finir un sentiment d’enfermement une fois mariée ce qui a fini par des divorces.

    Dans le rapport conflictuel il y a eu aussi tout ce qui approche l’idéologie, le dogme, la doctrine. Je respecte tout un chacun et ce qu’il peut croire ou penser, c’est du domaine de l’intime, je n’ai pas a y entrer. En revanche, je demande que l’on puisse m’accorder la même mansuétude si je ne marche pas dans les mêmes empreintes.

    Donc, il faut savoir que pour l’apprentissage d’une histoire vieille de deux mille ans, mon appétit de curiosité m’a rapporté de bonnes fessées alors que je n’étais plus vraiment une enfant, suivies obligatoirement par des heures de colle à psalmodier des phrases ne rimant pas toujours, pleine de mort, de tristesse, de pardon et de rédemption. C’est à ce moment que chez moi naquit l’idée que le paradis devait être un endroit outrageusement chiant par rapport à l’enfer où il devait se passer des trucs bien chauds, vu que les pêcheurs de tous poils y tenaient salon.

    J’ai le goût de la lecture, tout ce qui se lit m’attire, les ouvrages avec images, sans, les journaux, les magazines avec ou sans intérêt. Mais ce qui me fait palpiter les narines, ce sont les vieux livres, avec une belle couverture de cuir, un ruban marque page fixé au milieu, des pages d’une douceur exquise avec parfois des enluminures mono ou polychromes.
    La bibliothèque municipale de ma commune m’a logée gracieusement des heures durant. C’est ainsi que j’ai un jour rencontré une couverture exceptionnelle en cuir noir un peu fripée, équipée d’un marque page de velours rouge. Au milieu, le titre indiquait « Juliette ou la prospérité du vice », l’auteur était un marquis et il portait le nom plutôt simple de Sade.

    Je me suis dit « tient, c’est quoi ça ? » en ouvrant l’ouvrage au hasard des pages, elles étaient parfois illustrées et là, en arrondissant ma bouche dans un « o » de surprise, je découvrais pour la première fois ce qu’un curé pouvait infliger à des filles quand elles se refusaient à l’enseignement des œuvres dites bonnes.
    J’étouffais un rire et cachais illico le manuel anti-biblique hautement explosif dans ma besace de classe, comprenant bien qu’aucun bibliothécaire ne concèderait à me prêter ce volume égaré sur ses rayons. J’ai filé à mon cour de religion, constatant que j’étais encore en retard et qu’une fois de plus j’allais me faire crucifier publiquement, ou pire !

    Après ma fustigation programmée, reléguée au fond de la pièce me faisant oublier dans une posture révérencieuse, l’ennui me torturant, je me suis adonnée à la lecture de l’ouvrage maléfique.
    Pour la première fois, Mère Marie-Ange connut la paix en son enseignement, l'ange blond restait assise au fond de la classe, absorbée par sa lecture, qui ne pouvait être à ses yeux qu’eucharistique. Je fus si bonne élève, qu’elle cru fermement à un miracle et qu’une sainte main se posant sur ma tête, m’avait enfin inculqué la sagesse et la foi.

    Quelques mois plus tard, une fois communiée et confirmée, je décidais de reprendre ma liberté, divorçant du père, du fils, mettant le saint esprit à la porte et fuyant pour longtemps toutes les cérémonies en français ou en latin. Mon libre arbitre retrouvé, je m’abandonnais avec volupté à une vie beaucoup plus libre enrichie d’ouverture et de tolérance.

    Il m’arrive de me souvenir du curé de Monsieur le Marquis. Comprenant maintenant parfaitement tous ses agissements, j’avoue ressentir les titillements de l’interdit devant une soutane se soulevant par la brise.
    Dommage qu’en général ce qu’il y a dedans calme mes ardeurs ostensiblement.

    Maintenant, si mes pensées s’égarent et mettent Bel Amant à l'intérieur de la bure, je suis certaine de mettre énormément d’enthousiasme à être une très vilaine fille, mettre tout en œuvre pour subir son dévot courroux accompagné de ses réprimandes claquantes. Et quand il décidera enfin que la leçon est suffisante, mes rotondités rougies par son bras armé de l’arme anti-écolier, mes yeux mouillés de larmes emprunts d’un sérieux repentir, il me dispensera son pardon, me disposant devant lui en génuflexion, mes mains sagement croisées dans le dos, la bouche arrondi par un « o » je reproduirai avec application la gravure découverte un après midi de printemps dans un livre à la couverture en cuir noir un peu fripé, sur un rayon poussiéreux.

    Mon père, pardonnez moi mes offenses,
    Soumettez-moi à la tentation,
    Et ne me délivrez pas du mâle.
    Amen !

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  • Commentaires

    1
    Le Marquis
    Mercredi 19 Octobre 2011 à 07:06

    vous êtes étonnante, si peu ordinaire. Continuez à nous régaler de votre prose nocturne, nous en redemandons. Le Marquis reste à votre disposition

    2
    Genkin's Goth
    Mercredi 19 Octobre 2011 à 15:52

    j'accompagne le marquis... une plume tellement agréable à lire, libertine et sage. Encore encore

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    3
    Laurent Paris
    Jeudi 20 Octobre 2011 à 18:26

    C'est très bien, une belle écriture. J'aime le style, agréable, raffiné et sexe en diable. Oui moi aussi j'en redemande et pour un peu je retournerai à la messe 

    4
    Desdémona
    Vendredi 21 Octobre 2011 à 18:29

    bravo, quelle chrétienne lol Toujours autant de plaisirs à lire tes petites chroniques, que du bon !

    5
    Abby-Gail Profil de Abby-Gail
    Lundi 14 Novembre 2011 à 17:48

    Superbes tes textes !

    Abby

    6
    Steppen WULF
    Mercredi 30 Octobre 2019 à 10:14
    Steppen WULF
    Meme 8a. pile Après , un bien JooLii TeXXte ,
    TJRS Turgescent ...
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